Ornementation






Une influence du Japon a souvent été attribuée aux décorations excessives d'inspiration florale et végétale de l'Architecture Art Nouveau.

L'architecture moderne, qui au contraire devait abandonner toute décoration stylistique, peut ausi trouver un précédent dans l'architecture japonaise en matière d'ornementation. Car, ni l'architecture moderne, ni l'architecture japonaise ne l'ont, en fait, jamais exclu.

Les constructions réalisées sous les dynasties shogunales doivent être isolées, car en matière d'ornementation, elles tiennent une place à part au Japon. Construits pour marquer le symbole de la puissance et de l'autorité militaire, les temples (Nikko, Toshogu à Tokyo (voir illustration 25 et 26), Chion-in à Kyoto ...) et châteaux forts (Nijo à Kyoto ...) abritent des décorations somptueuses, et presque en excès par rapport aux autres constructions japonaises, comme le souligne Robert Mallet-Stevens:

"Les palais, au point de vue de la construction, sont analogues aux maisons que nous venons de décrire sommairement; seules; leurs dimensions sont plus grandes et leur décoration plus riche, plus abondante."(1)

133 - Décor de la porte du Ninomaru, château de Nijo à Kyoto.

Plus globalement, et même si certains ont voulu trouver dans l'architecture japonaise l'expression du renoncement total de décor, on trouve à développer le thème de l'ornementation, en considérant l'architecture domestique ainsi que celle des palais et villas impériaux.

"Dans le cadre des conceptions japonaises traditionnelles, j'estime que le palais de Katsura est, malgré l'avis de Bruno Taut, très ornementé, mais son ornementation d'ordre mental touche davantage l'esprit que les sens. (...)

Après Taut, tout le monde reprit l'idée que le palais de Katsura est un modèle d'architecture fonctionnaliste. Mais un examen sérieux infirme totalement cette opinion. Les yeux modernes (et étrangers) de Taut virent dans l'absence de fioritures tapageuses un renoncement délibéré de l'ornementation, là où précisément il y a luxe de décoration non fonctionnelle. En fait, on peut difficilement imaginer un traitement plus décoratif que cette synthèse de styles architecturaux qu'ils aient été concommitants ou successifs. Taut fut induit en erreur par la prééminence de l'intellectualité qui tend à éclipser les aspects purement ornementaux. Ce que nous voyons ici n'est nullement un cas de fonctionnalisme, mais simple économie d'expression."(2)

Cette "économie d'expression" se manifeste par la stylisation, la géométrie, le minimalisme.

134 - Shoi-ken, "les 6 occuli en train de rire", villa impériale de Katsura.
 
 

Stylisation

La stylisation, soit la représentation sous une forme simplifiée des motifs décoratifs, est, en effet, l'une des façons d'appréhender "l'économie d'expression".

Ce sont les formes naturelles, végétales ou animales (voir La Place du Japon dans l'Activité architecturale en Occident - l'Effervescence autrichienne - illustration 51), mais souvent florales qui nécessitent cette simplification.

En 1928, Henry Balth, dans sa Grammaire du dessin, fixe à l'intention des élèves, la définition de la stylisation comme procédé de dessin, avec comme exemple illustratif, différents essais de stylisation du genêt.

"Ces représentations de choses empruntées à la nature, pour pouvoir être utilisées comme motifs d'ornementation, doivent subir d'ordinaire une préparation.

C'est ce qu'on appelle la STYLISATION.

C'est une mise au point du document naturel. Elle comporte trois opérations:

1) Une épuration, c'est-à-dire un travail de réduction du document à son expression la plus claire et la plus intelligible. Mettre en évidence les caractères essentiels en élaguant les traits accidentels. Simplifier, unifier, rectifier, régulariser, synthétiser, géométriser, symétriser, sacrifier, supprimer, abstraire, exagérer, accentuer, renforcer, souligner, subordonner.

2) Une adaptation à la forme qu'il s'agit d'orner et à la fonction ornementale.(...)

3) Une interprétation en vue de la technique de l'exécution de l'ornementation (...)."(3)
 

135 - Exemples de stylisation du genêt.
 

Les motifs de la planche de H.Balth, et surtout ceux encadrés du carré et du cercle, ne restent pas sans rappeler les planches stylisées japonaises reprises par T.Cutler dans sa Grammaire de l'ornement japonais (4), "suite-complément" de la Grammaire de l'ornement d'Owen Jones.

Ils évoquent aussi surtout les emblèmes de la Maison Impériale du Japon, que Koempfer avait repris, dans son Histoire naturelle, civile et ecclésiastique du Japon de 1729.

Dans la villa impériale de Katsura, les éléments de décoration étaient basés sur la stylisation (voir La Place du Japon dans l'Activité architecturale en Occident - L'Essor anglais - ilustration 45).

"Tous ces motifs recourent, bien sûr, à une haute stylisation qui gomme toute trace de banal et de réalisme. Et la sobriété délicate et aristocratique ainsi obtenue se marie idéalement au symbolisme qui caractérise ce gîte de montagne conceptualiste."(5)

136 - Emblèmes de la Maison impériale et des principaux nobles du Japon.
 

Géométrie
 

Avec la stylisation, s'est développée l'idée du purisme, et la recherche de formes décoratives épurées, a tendu vers la simplicité des formes géométriques de base.

Les compositions les plus répandues sont celles faites à partir du carré (voir La Place du Japon dans l'Activité architecturale en Occident - L'Essor anglais - illustrations 38 et 41 - La Mouvance américaine - notes 18 à 20 - illustration 79), et celles à partir du quadrillage qui en résulte (voir La Place du Japon dans l'Activité architecturale en Occident - l'Effervescence autrichienne - illustration 52).
 
 

On peut aussi ajouter une variation sur le thème du carré, celle de la diagonale.

"A remarquer encore (...) l'insistance de la (...)diagonale au palais de Katsura; des exemples: le revêtement de sol traité en zigzag dans la demeure et les pièces de velours travaillées en triangles dans la Salle médiane au Shoi-ken."(6) Minimalisme
 

Les architectes modernes n'ont pas "banni" l'ornementation, ils en ont simplement contrôlé les excès.

Cette recherche d'une décoration requérant le minimum de moyen, est liée à leur volonté première d'affirmer, avant tout, la lisibilité de la structure, le décor arrivant au second plan.

"(...), pour Mies, l'ornement est fort différent de ce "superflu" qui continue à survivre sur les surfaces de l'architecture moderne. L'ornement trouve sa propre signification dans laquelle ce qui mérite d'être condamné n'est pas la "décoration" mais l'excès d'ornements. Dans ce sens, il est clair que si l'on doit exprimer un jugement sur son oeuvre, l'attention doit se porter non pas sur la présence de décorations mais sur un éventuel excès d'ornements. Mies opère à la frontière séparant l'excès de l'ornement, à la ligne protégeant la forme, de la prévalence de l'usage."(7) L'une des constructions de Mies van der Rohe qualifiée de minimaliste est le pavillon allemand de l'exposition internationale de Barcelone de 1929. Et l'une des raisons pour lesquelles ce qualificatif lui est attribué est que Mies a refusé, ici, tout ornement superflu pour ne s'attacher à faire ressortir que les qualités esthétiques des matériaux de construction. A propos du Pavillon de Barcelone, Benoît Bucaille note: "La pureté des formes, la sobriété des lignes et l'absence de décoration, élément qui cacherait un défaut de construction, comme le soulignait Perret, est ce qui frappe le plus. Le matériau lui-même et son utilisation constituent la seule décoration."(8) Cette façon de choisir, pour toute décoration, de mettre en valeur les qualités des matériaux fait partie de la vision de l'ornementation au Japon.

Akira Naito décrit, à propos de la villa impériale de Katsura, l'importance du rôle joué par les matériaux dans la décoration; mais, on pourrait retrouver, certainement à un degré moindre, la même attention portée aux matériaux, dans des maisons d'habiations plus communes.

(voir La Place du Japon dans l'Activité architecturale en Occident - Effervescence autrichienne - notes 17 à 23 - illustration 54 et Concepts de l'Architecture moderne vus à travers la Tradition japonaise - Principes constructifs - note 5)

"On ne peut indiquer meilleure illustration de cette intention élitiste que le choix de matériaux précieux pour des ornements à première vue modeste. Ainsi, par exemple, les étagères et les placards sur le gradin impérial sont réalisés en bois importés de quatre ou cinq variétés, et la loggia, apparemment sans prétention à l'extérieur de la Salle de Musique, est planchéiée en cryptoméria admirablement veiné et extrêmement coûteux. De même le papier à damier bleu et blanc du Shokin-tei est de la plus belle qualité manufacturée au Japon."(9)

(voir illustration 115)
 

Notes:
 
 

(1)MALLET-STEVENS, Robert, L'architecture au Japon, in La Revue, vol.LXXXX, 15 mai 1911, pp.529-530, voir annexe 6.

(2)NAITO, Akira, Katsura, un ermitage princier, Office du Livre de Fribourg, Société française du Livre, Paris, p.7 et p.45.

(3)BALTH, Henry, Grammaire du dessin, L.Bourdeaux-Capelle, Dinant, 1928, p.112.

(4)CUTLER, Thomas William, A Grammar of Japanese Ornament and Design, B.T. Batsford, London, 1880.

(5)NAITO, Akira, op.cit., p.44.

(6)NAITO, Akira, op.cit., p.46.

(7)DAL CO, Francesco, La culture de Mies considérée à travers ses notes et ses lectures, in Mies van der Rohe, sa carrière, son héritage et ses disciples, C.C.I., Paris, 1987, p.88.

(8)BUCAILLE, Benoît, Barcelone reconstruit son pavillon, in Architectes, n°170, septembre 1986, pp.37-41.

(9)NAITO, Akira, op.cit., pp.46-47.
 
 


Conceptions de l'espace





Les architectes modernes, "toutes tendances confondues", se sont intéressés davantage par rapport à leurs prédécesseurs à une conception de l'espace plutôt qu'à une conception en plan.

Leurs plans, en abandonnant radicalement les lois d'ordonnancement des anciens modèles classiques dictés par les règles, régis par des axes, offraient une organisation qui exploitait une plus grande diversité de qualités spatiales: plutôt que la qualité du rendu final, ils privilégiaient les qualités de l'espace vécu.
 

Des théories qui se sont développées, trois conceptions de l'espace, d'ailleurs souvent présentées comme antinomiques et chacune associée à un architecte spécifique, rappellent des notions présentes aussi dans les plans japonais: il s'agit, interprétés plus en terme d'espace ou plus en terme de construction, du Raumplan de Loos, du plan organique de Wright, et enfin du plan libre de Le Corbusier.
 

Le Raumplan
 

Ce vocable de l'architecture moderne, réservé à Loos, traduit toute l'idée de spatialité contenue dans ses projets.

Selon Johan van de Beek, cette méthode de composition du plan particulière à Loos vient précisément s'opposer aux maisons japonaises.

"(...) Les logements de Loos se caractérisent par une compacité maximale et tridimentionnelle, une concentration dans la longueur, la largeur, et la hauteur.

En opposition à cette image nous pouvons prendre les maisons dans la prairie de Frank Lloyd Wright ou encore la maison traditionnelle japonaise tant en vogue à l'époque de Loos."(2)

Pourtant, l'opposition ainsi faite entre les réalisations de Loos et l'architecture japonaise ne doit pas être si radicale et complète.

Car, même si c'est de prime abord l'aspect extérieur des maisons de Loos dont la compacité le réduit à des volumes simples (maison Rufer, maison Müller, maison Tzara), qui a poussé Beek à faire cette opposition, l'organisation volumétrique intérieure de l'espace qui se trouve ainsi cachée derrière ces volumes, n'est absolument pas en contradiction avec l'architecture japonaise.
 

C'est Heinrich Kulka, le collaborateur de Loos, qui, en donnant, en 1931, la première description de la façon personnelle de Loos de composer dans l'espace, a dicté la définition du Raumplan.

"A travers Loos une conception plus neuve et plus élaborée de l'espace s'est imposée au monde: le libre jeu de la pensée dans l'espace, la planification d'espaces disposés à différents niveaux et qui ne sont pas rattachés à un étage couvrant toute la surface du bâtiment, la composition des différentes pièces en relation entre elles en un tout harmonieux et indissociable qui est en même temps une structure fondée sur l'économie d'espace. Les pièces ont, selon leur destination et leur signification, non seulement des dimensions mais aussi des hauteurs différentes. Loos peut ainsi, à partir des mêmes moyens de construction, créer plus d'espace habitable car il peut de cette manière, dans le même volume, sur la même surface au sol, sous le même toit, entre les mêmes murs extérieurs, introduire plus de pièces. Il exploite au maximum les possibilités offertes par le matériau et le volume habitable. On pourrait dire d'une autre manière: l'architecte qui ne pense qu'horizontalement a besoin d'un plus grand espace de construction pour créer la même surface habitable."(3) Les deux idées principales développées par Heinrich Kulka, le jeu de la disposition des volumes à des niveaux différents, et celui de la différence de hauteur sous plafond de ces mêmes volumes, pour une organisation économique des surfaces dans un volume donné, correspondent exactement à la spatialité de la maison japonaise.

Le parallèle de ces deux idées est fait d'une part par Jacques Pezeu-Masabuau et d'autre part par Ernest Neufert, qui développent chacun, à propos de la maison japonaise, l'une et l'autre des notions abordées par Kulka.

"Le sol (...) présente des variations de nature et de niveau qui expriment des variations de fonction. Depuis l'entrée, qui prolonge toujours, sous le toit, le sol de la cour ou de la rue, jusqu'au fond de la maison, se succèdent ainsi une zone en terre battue, (...), une zone planchéiée, (...), surélevée de 20 à 50 cm, passant elle-même à la partie couverte en tatami qui correspond à la plupart des pièces, à celles notamment où se déroule la vie privée."(4)

"(...) la hauteur sous le plafond est adaptée aux dimensions de la pièce. Etant donné que le plafonnage est suspendu à la charpente du toit, on peut aisément varier la hauteur du plafond suivant les dimensions de la pièce."(5)

Le Plan organique
 

Johan van de Beek (2), en choisissant, en opposition à l'architecture de Loos, l'exemple de la maison traditionnelle japonaise associait aussi à celle-ci, les maisons dans la prairie de Frank Lloyd Wright.

Il est vrai que les plans de Wright, de par leur composition, reprennent l'idée japonaise de l'organisation de l'espace.

Dans sa description de ces plans élaborés par Wright, Michel Ragon fait ressortir des notions aussi particulières que celles des pièces communiquant directement les unes avec les autres sans espace servant, d'une croissance organique du plan ainsi que d'une relation privilégiée au site.

"Les maisons de Wright étaient en effet, alors, d'une absolue nouveauté. Ne serait-ce que leur plan intérieur dessiné comme si la maison ne constituait qu'une seule pièce. (...) Puis il fit partir ses plans du centre de l'habitation, les pièces rayonnant du coeur de l'habitat vers l'extérieur. (...) Autant que le terrain le permettait, Wright étalait ses maisons. Au lieu de protéger la maison contre la nature, ce qui était la tendance des hommes depuis l'origine de l'architecture, Wright noyait son architecture dans la nature, faisait pénétrer celle-ci dans la maison, supprimait l'hiatus entre intérieur et extérieur."(6) Ces mêmes notions appartiennent également à l'architecture japonaise (voir La Place du Japon dans l'Activité architecturale en Occident - La Mouvance américaine - notes 27 et 28 - illustrations 90 et 91).
 

D'ailleurs, Wright lui même, dans l'une de ses conférences données à Londres en 1939, explique que l'idée du plan organique s'applique précisément à l'architecture traditionnelle du Japon.

"(le terme "organique") s'applique aux anciennes constructions japonaises; L'architecture domestique japonaise était réellement de l'architecture organique"(7) Wright avait bien trouvé dans l'architecture japonaise la représentation de l'idée de l'architecture organique qu'il avait, lui-même, développée.

Et, le plan organique de Wright accordait toute son importance à la nature environnante, en privilégiant les relations au site et l'interpénétration intérieur-extérieur.
 

- Relation au site - L'une des propriétés du plan organique est "d'estomper" la limite, jusqu'alors fortement affirmée, entre l'espace intérieur de la construction et l'extérieur.
 

Wright, dans deux passages relevés de ses réflexions écrites, reprend cette même idée, à propos de l'architecture organique et de l'architecture japonaise, qu'une limite qui serait franche et nette entre l'intérieur et l'extérieur de ces constructions est impossible à fixer.

Tout d'abord, toujours au cours de la même conférence donnée à Londres en 1939, Wright, à propos de l'architecture organique fait la remarque suivante:

"Le jardin et la construction ne doivent désormais faire qu'un. Dans n'importe quelle structure organique de qualité, il est difficile de dire où le jardin finit et où la maison commence, ou où la maison finit et où le jardin commence - et c'est exactement comme ça devrait l'être, car l'architecture organique assure que nous sommes par nature des animaux amoureux du sol, (..)."(8) Et, le parallèle est fait avec le jardin japonais, lorsqu'en 1955, dans un chapitre entièrement consacré à son expérience japonaise, de An American Architect, il écrit: "On ne peut pas dire où le jardin finit et où le jardin commence. J'ai vite cessé d'essayer de le dire, trop séduit par le problème pour le résoudre. Il y a des choses si parfaites que rien ne justifie une telle curiosité."(9) - Interpénétration intérieur-extérieur - Cette idée d'interpénétration de l'intérieur et de l'extérieur n'est pas réservée à Wright.

Plus généralement, les projets modernes ont exploité l'idée d'une ouverture maximale sur l'extérieur, rendue possible par de nouveaux modes de construction (structure poteaux-poutres).

Mais ces ouvertures maximales procurent à la construction différentes qualités qui ne sont pas exploitées de la même façon et pour les mêmes raisons en Occident et au Japon.

Cette large ouverture de l'habitation moderne sur l'extérieur se limite bien souvent aux somptueux projets, comme ceux de F.Ll.Wright, mais aussi ceux de L.Mies van der Rohe, de R.Neutra, de C.Scarpa..., qui bénéficient de sites privilégiés. En fait, la grande majorité des murs-rideaux de l'architecture moderne, situés dans un environnement plus sobre, répondent moins à ce besoin de contact avec la nature, qu'à celui d'une recherche de luminosité maximale avec une liberté totale de composition de la façade.
 
 

A l'inverse, dans la maison japonaise, la qualité qu'apporte l'interpénétration de l'intérieur et de l'extérieur, prend toute sa valeur, si l'on sait l'attachement que les Japonais ont pour la nature.

"Le jardin japonais, prolongement de la maison, est conçu pour aider la méditation par un jeu de plans et d'éléments de conception souvent très abstraite.

Sans doute semblons-nous loin de l'habitat moderne, mais tous le efforts en urbanisme et en architecture ne tendent-ils pas à la création d'un habitat permettant à l'homme de vivre en harmonie, isolé au maximum et profitant de la nature au moyen d'une façade largement ouverte sur les jardins ou sur le ciel."(10)
 
 

Et, ces grandes ouvertures ne sont pas conçues pour apporter de la lumière à l'intérieur de la maison; au contraire (voir La Place du Japon dans l'Activité architecturale en Occident - La Mouvance américaine - notes 21 et 22 - illustrations 81 et 82): "(...) en supprimant les derniers coins d'ombres, l'on tourne le dos à toutes les conceptions esthétiques de la maison japonaise."(11) Si l'on doit justifier d'un rôle effectif dans la construction de cet important rapport entre les ouvertures et la surface des pièces (1/5), il serait alors plutôt celui de l'aération des habitations dans des régions tropicales humides.
 
 

Le Plan libre
 

Pour faire partie des cinq points qu'il a énoncés en 1927, l'idée du plan libre de l'architecture moderne fait immédiatement référence à Le Corbusier. Plus généralement, la "libération du plan", rendue possible par l'utilisation d'une structure poteaux-poutres qui supprime les murs porteurs est exploitée par de nombreux architectes.

Toute contrainte de division statique de l'espace représentée par un cloisonnement opaque et définitif écartée, le plan ainsi libre, même s'il est tramé et donc d'aspect rigoureux et figé, offre une souplesse de composition de l'espace.
 

Comme le souligne Daniel Treiber, à propos des plans de F.Ll.Wright:

"Ce ne sont pas les murs qui constituent l'espace intérieur, mais le plancher et l'entité formée par le plafond et ses retombées."(12) L'espace compris entre le plancher et le plafond, le volume intérieur de la construction est devenu un espace libre et largement ouvert, dans lequel une séparation "souple" en différents espaces est réalisée par des parois légères voire mobiles, des écrans plus ou moins opaques, ou de simples artifices.

Et, c'est Dominique Clayssen qui, pour qualifier cette fluidité de l'espace dans les projets de Jean Prouvé, fait référence à l'architecture japonaise:

"L'espace (de la maison "Jours Meilleurs") est très petit, (...), Prouvé le rend fluide. Au lieu d'enfermer, de clore, il modèle les vides à la manière japonaise".(13) L'intérieur de la maison japonaise construite à partir d'une structure poteaux-poutres est reconnue pour être effectivement l'antinomie de l'espace clos.

La description d'une habitation japonaise courante faite par Ralph Adams Cram (voir chronologie 1898), reprend, dans les mêmes termes, la définition du plan libre moderne.

"(...) une maison japonaise est perçue comme étant simplement un vaste plancher grand ouvert, élevé sur des poteaux à deux ou trois pieds au dessus du sol et recouvert de nattes; couvert par un toit de tuiles, bas, porté par des poteaux de section carrée, et alors divisé en pièces par des écrans coulissants de tailles variées. Il n'y a, au sens où nous l'entendons, ni fenêtres, ni portes.

(...) Entre les poteaux intérieurs, glissent les fusuma qui peuvent être déplacés, transformant à volonté l'espace entier en une seule vaste pièce. (...) la plupart des cloisons restent temporaires et amovibles."(14)
 

C'est déjà, l'idée de la flexibilité qui est annoncée.
 

Notes:
 

(1)JENCKS, Charles, Mouvements modernes en architecture, Mardaga, Bruxelles, 1978, p.358.

(2)BEEK (van de), Johan, Adolf Loos - Modèles de Villas, in Raumplan versus plan libre, Ecole d'architecture de Delft traduction Ecole d'architecture de Paris-Belleville, p.20.

(3)KULKA, Heinrich, Adolf Loos, in TOURNIKIOTIS, P., Loos, Macula, 1991, p.204.

(4)PEZEU-MASABUAU, Jacques, La maison japonaise, P.O.F., Paris, 1981, p.42.

(5)NEUFERT, Ernest, La coordination dimensionnelle dans la construction, Dunod, Paris, 1967, p.63.

(6)RAGON, Michel, Histoire de l'architecture et de l'urbanisme modernes, ed. Seuil, Paris, 1991, T.1, pp.276-277.

(7)WRIGHT, Frank Lloyd, An Organic Architecture, The Architecture of Democracy, Lund Humphries, Bradford & London, 1970, p.11.

(8)WRIGHT, Frank Lloyd, op.cit., p.12.

(9)WRIGHT, Frank Lloyd, An American Architect, ed. by Edgar Kaufmann, Horizon Press, New-York, 1955, p.47.

(10)PERRIAND, Charlotte, L'art d'habiter, extrait de T.A. n°9-10, août 1950, repris dans Paris 1937-1957, C.C.I., Paris, 1981, p.444.

(11)TANIZAKI, Junichiro, Eloge de l'Ombre, P.O.F., Paris, 1986, p.95.

(12)TREIBER, Daniel, F.Ll.Wright, F.Hazan, Paris, 1986, p.15.

(13)CLAYSSEN, Dominique, Jean Prouvé-l'idée constructive, Dunod, Paris, 1983, p.81.

(14)CRAM, Ralph Adams, Impressions of Japanese Architecture and the Allied Arts, Tuttle, Tokyo, 1982, pp.132-133.
 
 


Principes constructifs






L'utilisation de nouveaux matériaux, tel le béton armé, libérait les architectes modernes des contraintes de la construction en maçonnerie massive, leur faisant adopter les principes constructifs qui leur sont directement en relation.

Cette "libération" se trouve traduite essentiellement par les techniques constructives utilisées, mais aussi par l'incidence que ces techniques peuvent avoir sur la conception de l'espace.

Ainsi, les thèmes abordés illustrent tant une approche proprement constructive (structure et utilisation des matériaux de construction) qu'une approche davantage conceptuelle (coordination modulaire), qui trouvent une concordance avec l'architecture japonaise.
 
 

Eléments de construction

- Structure poteaux-poutres - La suppression des murs massifs porteurs laissait apparaître une ossature porteuse, qui est devenue aussi l'un des principes constructifs esentiels de l'architecture moderne.

Cette ossature porteuse, constituée de poteaux et de poutres en béton armé trouve une parenté directe avec celle constituée au Japon par les mêmes éléments en bois. Cette parenté est lisible dans le principe de construction lui même, et dans la résistance du béton armé tant à la compression (béton) qu'à la traction (armatures en acier), deux forces auxquelles le bois résiste naturellement, comme l'explique Michel Ragon:

"Le béton armé est (...) une sorte de pierre artificielle qui a l'avantage, sur la naturelle, d'absorber les forces de traction. Le bois résiste aussi à la compression et à la traction (et ce n'est donc pas un hasard ni toujours un mensonge si l'architecture en béton armé s'apparente souvent, notamment au Japon, aux formes traditionnelles de l'architecture en bois)."(1)


137 - Temple Kokufuji à Nara.

L'un des éléments caractéristiques, directement issu de l'ossature, qui peut être mis, ici, en évidence est le pilotis.

Les pilotis de l'architecture moderne, expression extérieure du fondement de l'ossature, apportent un autre sens au rapport que la construction peut entretenir avec le sol auquel elle appartient, que celui que les massives fondations de l'architecture classique avaient montré jusqu'alors.

Les pilotis, en élevant les constructions au dessus du niveau du sol, établissent un lien d'un autre type entre la construction et le site sur lequel elle repose.

"La maison ne sera plus (...) une entité archaïque, lourdement enracinée dans le sol, par de profondes fondations bâties de "dur"."(2) Le Corbusier s'était, en effet, largement exprimé sur cette idée; et ce sont certainement ses réalisations qui fournissent les images de constructions sur pilotis les plus impressionnantes (Villa Savoye à Poissy, par exemple). Toutefois, d'autres pilotis, non moins célèbres peuvent être cités en exemple: ceux de la Maison Farnsworth, de Mies van der rohe, par exemple. "Le site étant périodiquement inondé, Mies a surélevé le plancher de la maison de 1,80m. L'avantage pratique est que cela protège le volume intérieur de l'innondation, l'effet poétique en est une impression de légèreté et d'espace qui n'était que suggérée dans les oeuvres précédentes."(3)

138 - Maison Farnsworth, Plano, Illinois, 1946-1951.

C'est le fait même de détacher la construction du sol qui évoque l'architecture japonaise. Mais à la différence des occidentaux, ce sont spécifiquement les conditions climatiques, comme le souligne Robert Mallet-Stevens, qui ont poussé les Japonais à construire systématiquement sur pilotis: la réponse la mieux éprouvée face à un sol instable et à des pluies diluviennes.

"En effet, aucune construction nippone ne possède de fondations trop aisément ébranlables; l'édifice est soutenu par des supports de bois, simplement posés sur des socles de pierre, donnant ainsi une grande élasticité à l'ensemble, et permettant en outre, l'écoulement de l'eau sous les planchers sans les atteindre."(4)

139 - Temple Kyomizudera, à Kyoto.
 

- Les matériaux - Si l'on trouve, dans le rapprochement entre l'architecture japonaise et l'architecture moderne, une place pour les matériaux de construction, c'est moins par l'analogie de leur nature propre respective (les matériaux utilisés ne sont pas les mêmes) que par celle du respect qu'il leur est accordé et du rôle qu'ils peuvent ainsi jouer dans le projet.

Dans les réalisations des architectes modernes, les matériaux de construction parviennent à révéler leur véritable nature et interviennent ainsi comme une composante du projet.

Non seulement ils sont laissés bruts et apparents, mais aussi ils sont largement mis en valeur. Par le projet, c'est la valorisation du matériau de construction qui est recherchée plutôt que celle d'un revêtement cachant sa libre expression (voir A.Loos). Ainsi, quelque soit leur valeur marchande, ce sont avant tout les qualités esthétiques (couleur, luminosité, texture, ...) des différents matériaux (naturels ou non) qui prévalent et qui sont exploitées.

C'est cette considération des qualités inhérentes aux matériaux, qu'ils soient naturels ou non, qui poussait les architectes modernes à leur faire tenir leur véritable place dans la construction.

Ainsi, le bois apparait dans les réalisations de Greene et Greene, de B.Maybeck, dans celles de Wright:

"La substance du matériau doit rester apparente, comprise et révélée: plutôt que d'enduire et de peindre le bois, Wright préconise "une couche d'huile résineuse transparente", ou une teinture qui exalte le matériau sans en dénaturer la substance".(5) Avec le même respect qu'il accorde au bois, Wright met en valeur les propriétés respectives de la brique, de la pierre, de la même manière que Loos travaille le marbre. Les matériaux naturels ne sont pas pivilégiés. C'est avec le même souci de sincérité que le béton brut, le métal apparaissent dans les réalisations de Le Corbusier, de Mallet-Stevens, de Loos, de C.Scarpa ... .
 

Cette attitude des achitectes modernes, face aux matériaux intervenant dans la réalisation de leurs projets, rappelle celle des architectes japonais qui emploient les matériaux naturels, essentiellement d'origine végétale (bois, écorce, roseau, bambou, châume) mais aussi le plâtre, le torchis, la tuile et la pierre, toujours avec la même sincérité, pour l'effet qu'ils produisent par nature et non pas comme le simple support d'un revêtement.

(voir La Place du Japon dans l'Activité architecturale en Occident - L'Effervescence autrichienne - notes de 17 à 23 - illustration 54).
 

Coordination modulaire

La recherche d'une unification des dimensions pour une rationalisation de la construction, d'abord aux Etats-Unis, puis en Europe, et notamment en Allemagne et en Suisse, a tendu vers la définition de la coordination dimensionnelle et modulaire du bâtiment.

La rationalisation est rendue possible grâce à l'établissement d'un module, dont les dimensions définissent les éléments de la construction, et qui se décline aussi bien en plan qu'en volume. Le rapport des dimensions de ce module conduit à la notion de proportions.

La coordination modulaire est connue au Japon, notamment avec l'utilisation des dimensions établies du tatami.

"Le tatami fournit ce que l'architecte moderne appelle la "coordination modulaire" et donne une qualité rythmique d'une proportion uniforme au plan et à la façade."(6) - Proportions - En aucune manière, la notion essentielle en architecture des proportions n'a pu échapper à aucun architecte. Seulement, elles doivent être considérées d'après les différentes valeurs qu'il a bien été voulu de leur attribuer.

Avec l'architecture moderne, une nouvelle idée est devenue primordiale: celle de l'adaptation des dimensions de la construction à la mesure de l'homme. Ainsi, c'est d'abord la considération de la "taille de l'homme moderne", comme base des mesures de la construction, plûtot que l'évaluation à partir de calculs de mesures plus abstraites, qui devait dicter les dimensions des réalisations modernes.

L'étude certainement la plus poussée d'une échelle de dimensions à partir des mensurations de l'homme, et servant d'outil de mesure à la construction, est celle de Le Corbusier, avec l'élaboration du Modulor.
 
 

S'éloignant de la valeur exacte mais théorique du mètre et de ses multiples et sous-divisions, nombres entiers ou fractions certes en relation avec l'unité mais sans aucun véritable rapport avec la taille de l'homme, Le Corbusier s'approchait, peut-être pas dans l'exactitude des nombres énoncés, mais dans l'idée même, du système de mesure japonais.

Le système de mesure japonais appliqué à la construction repose sur l'utilisation d'une mesure module, le ken, et de ses dérivés (1/2; 1/4; 1/6; 1/8;...).

"Les raisons principales (...) étaient les liens étroits de la mesure du ken avec la vie quotidienne, sa proche parenté des mensurations humaines, et sa facilité d'utilisation."(7) La première des applications, visible par des yeux occidentaux, de cette utilisation du ken (= 1,81m) dans la construction japonaise pourrait être celle des dimensions du tatami. Long de 1 ken, et large de 1/2 ken, ces dimensions permettaient à deux personnes d'être assises l'une à côté de l'autre, ou à un Japonais d'être allongé pour la nuit. Bien que ses dimensions suivaient les variations que subissait le ken en fonction des régions, le tatami répondait toujours à ces usages standards; surtout, il gardait toujours la même proportion 1/2.

C'est précisément cette proportion qui est intéressante, car elle contient en elle le carré (1 tatami =2 carrés égaux de 1/2 ken de côté): forme géométrique de base, souvent mise en évidence dans l'architecture moderne.

D'ailleurs, le point de départ qui a permis à Le Corbusier d'élaborer le Modulor était bien un carré.
 


140 - Reconstitution du tracé du Modulor.

Et on retrouve, à la fin, la proportion du rectangle formé de deux carrés contigus.

La simplicité de ce rapport 1/1 contribue à faire du carré une figure omniprésente dans la construction.

L'exemple de Carlo Scarpa montre que:

"(...) son détachement conscient, comme son envie de dévier, ne serait-ce que légèrement des normes habituelles sont indubitablement à l'origine des proportions si personnelles qu'il a adoptées, proportions qu'il a appliquées, par exemple, tout au long de la conception du cimetière de Brion. Disons tout de suite qu'il n'y a rien de maladroit ou de curieux à utiliser des unitées de 5,5cm par 5,5cm. Il s'agit pour Scarpa d'expérimenter des proportions inhabituelles mais s'éloignant avec un minimum d'écart de la convention généralement acceptée de 5cm."(8) En fait, Scarpa expérimentait bien des dimensions inhabituelles (5,5; 11; 16,5; 22; 27,5cm...) par rapport aux normes, mais le rapport 1/1 dans lequel il les faisait se retrouver était, lui, absolument courant.
 


141 - Maquette du projet de la maison 50 par 50, Mies van der Rohe.

- Les dimensions et le module -

"Le mode de construction (de la maison japonaise) et le dimensionnement de ses éléments sont coordonnés (...) avec une uniformité qui ne se rencontrent nulle part ailleurs dans le monde. Les dimensions des pièces d'habitation, l'exécution des fenêtres et des portes, la structure des fondations, la disposition de la poutraison, du plancher, de la charpente du toit, etc., tout cela est normalisé d'après un rythme unifié."(9) Cette normalisation des éléments de construction de la maison japonaise, décrite par Ernest Neufert, dès la fin des années 1940, peut servir à donner une illustration à le réflexion occidentale en matière de normalisation des dimensions; les possibilités offertes argumentant cette recherche dans les mêmes termes. "L'un des premiers besoins est celui de la mesure. Cette préoccupation s'est maintes fois manifestée et récemment, notamment sous des formes telles que le Modulor, ou la théorie de la recherche du "type-optimum".

Un pas de plus est en train de s'accomplir avec la coordination modulaire. Il s'agit de la base d'une norme fondamentale établissant un système de coordination des dimensions déterminées par un module.

Elle répond aux fonctions principales suivantes:

L'interchangeabilité des produits:

Cette fonction doit assurer à l'architecte, responsable de la conception, la liberté de choix.

La diminution de la variété de produits:

Celle-ci assure une possibilité de rationalisation de la production.

L'assemblage direct des produits:

C'est un facteur d'économie de la construction par l'élimination du gaspillage des coupes et des ajustages exécutés sur le chantier."(10)
 

Les trois points soulevés par Pierre Bussat, dont l'ouvrage de 1963 sert ici de référence, spécifiant les possibilités apportées par une coordination des dimensions, peuvent être illustrés par des exemples japonais.
 
 

Le premier aspect évoqué, soit l'interchangeabilité des produits, est celui qui a peut-être le moins de rapport avec le Japon, si l'on se limite au premier sens que Pierre Bussat donne à sa définition: c'est-à-dire au sens où cette interchangeabilité représente "un choix entre des matériaux différents" (11) pour des éléments de mêmes dimensions.

En revanche, l'interchangeabilité des éléments de la construction est bien en effet une notion toute japonaise, si l'on considère le remplacement d'éléments, usagés ou endommagés par exemple, par d'autres les équivalant. Et, le premier de ces éléments interchangeables qui apparaît est le tatami. Cette facilité de remplacement vient comme une réponse à la vulnérabilité de la maison japonaise.
 

Le deuxième point annoncé par Pierre Bussat, la diminution des variétés de produits, tend vers l'idée d'économie et de rationalisation par une simplification de la production.

Au Japon, cette uniformisation des produits dans des gammes de dimensions réduites est indissociable de l'interchangeabilité dans la mesure où c'est elle qui la conditionne.

"Après le deuxième grand incendie de Tokyo en 1658, des prescriptions très sévères furent promulguées en matière de construction d'habitations. Le style de la construction et le type de logement pour chaque classe ou caste étaient prescrits de façon précise et tous les éléments étaient normalisés.(...)

La ville brûlée fut reconstruite rapidement et à des frais raisonnables grâce à l'unification des dimensions du bois et des éléments de construction."(12)
 

Enfin, le troisième point, l'assemblage direct, amène le projet jusqu'au chantier, où le travail de l'architecte rencontre celui des fabricants et celui des entrepreneurs. Et, les plans établis en fonction de l'utilisation d'éléments modulaires facilitent la liaison entre le travail d'agence et le travail sur le chantier.

Les plans japonais, comme le décrit Ernest Neufert, et comme l'avait déjà souligné Edward Sylvester Morse (voir L'Essor anglais - Le Mouvement Arts and Crafts - Les Guildes: Le Statut de la Profession), gardent cette simplicité dans la mesure où ils sont établis, moins pour indiquer un mode de construction qu'une organisation intérieure.

"(...), les dessins sont délibérément exécutés de façon très sommaire et ne contiennent que les indications les plus essentielles et nécessaires, concernant le nombre de nattes dans les pièces, l'écartement des poteaux, leur hauteur, etc. Tout le reste est laissé à l'appréciation des artisans expérimentés. Les desiderata particuliers sont communiqués sur le chantier pendant l'exécution des travaux."(13) Les plans ainsi dessinés à partir de l'utilisation rigoureuse des dimensions modulaires laissent lisiblement apparaître la trame selon laquelle ils sont conçus. C'est alors la notion de quadrillage modulaire qui intervient. "Le quadrillage modulaire est le lien entre le dessin, la production des éléments et leur assemblage sur le chantier."(14) Cette trame est, en fait, aussi bien constructive, issue de la répétition régulière des éléments de la structure (appuis porteurs/espace intermédiaire entre deux appuis) qu'ils soient en bois comme au Japon, en béton armé, ou métalliques comme dans les projets de Prouvé, que régulatrice du tracé des plans (voir la Mouvance américaine - F.Ll.Wright - Ses réalisations). Elle n'agit pas comme un carcan, mais elle impose un cadre à la conception: le juste équilibre entre la liberté de composition à partir des possibilités de combinaison des modules et le respect de la rigueur imposée par le principe.
 


142 - Organisation modulaire de la maison japonaise.

143 - Trame d'un plan d'une maison typique à Kyoto.(voir illustration 29)

144 - Maison Stanley Rosenbaum, Florence, Alabama, Wright, 1939.

Le dessin des plans ne privilégie pas certaines pièces par rapport à d'autres. Il n'y a plus de hiérarchie par rapport à leur fonction; elles ont, par le dessin, toutes la même valeur.
 

L'utilisation du quadrillage modulaire n'a pas qu'une incidence sur le tracé du plan, mais aussi sur celui du volume; le module ne représentant pas uniquement un dimensionnement plan, mais ayant aussi une troisième dimension.

Le rapprochement, entre la recherche en matière de coordination modulaire en occident et l'expérience japonaise, peut être fait avec, toujours la référence aux deux mêmes ouvrages: celui de Pierre Bussat et celui d'Ernest Neufert.

"(...) le module, dans la coordination modulaire au sens moderne, est considéré comme un élément dimensionnel en plan et en coupe. (...) Il n'a pas le caractère d'un facteur numérique, tel qu'il est employé (...) par Le Corbusier dans le Modulor, c'est-à-dire uniquement comme unité de proportion."(15)

"Une maison d'habitation japonaise est encore plus unifiée en coupe qu'en plan. (...)

Les dimensions des baies et des éléments de construction, dans la mesure où il sont conditionnés par la taille des habitants, s'adaptent, naturellement, à la stature plus petite des Japonais."(16)
 
 

Notes:
 
 

(1)RAGON, Michel, Histoire de l'architecture et de l'urbanisme modernes, ed. Seuil, Paris, 1991, T.1, p.247.

(2)LE CORBUSIER, Vers une architecture, Vincent, Fréal et Cie, 1958, p.193.

(3)SPAETH, David, Mies: une approche biographique, in Mies, sa carrière, son héritage, ses disciples, C.C.I., 1987, pp.19-40.

(4)MALLET-STEVENS, Robert, L'Architecture au Japon, in La Revue, 15 mai 1911, vol.LXXXX, p.523 - voir annexe 6.

(5)TREIBER, Daniel, F.Ll.Wright, F.Hazan, Paris, 1986, p.72, (il cite WRIGHT, Autobiographie, p.260).

(6)BLASER, Werner, Structure and Form in Japan, Architectural Publishers, Zurich, 1963, p.77.

(7)ENGEL, Heinrich, The Japanese House: a Tradition for contemporary Architecture, Tuttle, Rutland and tokyo, 1964, p.50.

(8)ALBERTINI, B. et BAGNOLI, S, Scarpa, l'Architecture dans le Détail, Mardaga, 1988, p.28.

(9)NEUFERT, Ernest, La coordination dimensionnelle dans la construction, Dunod, Paris, 1967, p.63.

(10)BUSSAT, Pierre, La coordination modulaire dans le bâtiment, FAS SIA Centre d'études pour la rationalisation du bâtimnt, Zurich, éd. Karl Krämer, Stuttgart, 1963, p.11.

(11)BUSSAT, Pierre, op.cit., p.11.

(12)NEUFERT, Ernest, op.cit., p.64.

(13)NEUFERT, Ernest, op.cit., p.68.

(14)BUSSAT, Pierre, op.cit., p.15.

(15)BUSSAT, Pierre, op.cit., p.24.

(16)NEUFERT, Ernest, op.cit., p.67.
 
 

Espace modulaire






L'élaboration d'une coordination dimensionnelle et modulaire dans la construction, contribue aussi à développer, dans le même esprit, une rationalisation de la production des éléments de construction. Elle tend, au delà de la normalisation et de la standardisation vers la préfabrication, poussée en Occident jusqu'à l'industrialisation.

Cette "dérive techniciste" favorise logiquement une certaine évolutivité de la construction traduite notamment par la flexibilité et l'extensibilité.
 

Dérive techniciste

- Normalisation - En 1953, dans la Charte de l'Habitat, Le Corbusier, en rédigeant les définitions de la normalisation et de la standardisation, fixait ce mode de construction particulier.

"Normaliser, c'est reconnaître les caractères spécifiques de la chose envisagée, fixer les différences, énoncer les types et les variantes. En opérant ainsi, on agit comme la matière qui crée en espèce et en famille évoluant selon toute la gamme de variantes possibles."(1) L'uniformisation des dimensions de la construction est l'une des qualités de l'architecture japonaise que, par exemple, Charlotte Perriand avait appréciée, et dont elle voyait toutes les possibilités justement adaptées à l'architecture moderne.

En 1957, au Salon des arts ménagers, à la présentation concernant la "synthèse de "l'art d'habiter" traditionnel japonais", elle proposait un modèle de maison japonaise.

"Pourquoi la maison traditionnelle japonaise?

Il ne s'agissait pas de folklore, mais pour moi de démontrer une certaine rencontre avec la modernité et l'esprit traditionnel japonais. Modulation, normalisation, souplesse, usage multiples, légèreté, communion avec la nature, détente... les Japonais ont réussi ce tour de force: avec les mêmes éléments architecturaux normalisés, sans architecte, vendus au public par les boutiquiers spécialisés du coin, de résoudre tous les problèmes de l'habitat, de la maison familiale aux villas impériales... couvrant tout le pays de ces modules sans créer de monotonie."(2)
 
 

Le Corbusier et Charlotte Perriand se retrouvent là où ils évoquent, tous deux, toutes les possibilités réalisables à partir de la combinaison de modules, qui restent, malgré l'uniformisation des dimensions, sans aucune uniformité.
 
 

- Standardisation - Toujours dans la Charte de l'Habitat, après avoir rédigé la définition de la normalisation de laquelle elle sous-tend, Le Corbusier fixait celle de la standardisation.

"Standardiser exprime très précisément ceci: un objet ou un principe ayant été normalisé, c'est-à-dire rendu indiscutable, rendu valable, il est apte désormais à fanchir l'étape du standard, ce qui signifie que ses dimensions sont fixées, les matières qui le constituent sont déterminées, sa forme, sa finition, son prix de revient sont établis (...)."(3) Les architectes modernes envisageaient la standardisation dans la construction comme une réponse à certaines de leurs aspirations. Outre les solutions techniques qu'elle offrait, et qui étaient réalisables, la standardisation des éléments de la construction induisait aussi le dimensionnement de tous les éléments de l'habitation. Ainsi le mode de construction était directement en relation avec la façon de concevoir qui prenait alors en compte la pratique de l'espace.

La standardisation appliquée jusqu'à l'extrême concernait aussi le dimensionnement des objets à l'intérieur de la construction, par rapport à l'usage que l'on fait d'eux. Le Corbusier a souvent insisté sur cette notion des dimension adaptées à l'usage.

"Il faut tendre à l'établissement de standarts pour affronter le problème de la perfection. Les standarts sont chose de logique, d'analyse, de scrupuleuse étude; ils s'établissent sur un problème bien posé. L'expérimentation fixe définitivement le standart.

(...) La maison en série nécessite l'étude poussée de tous les objets de la maison, et la recherche du standart, du type. Quand le type est crée on est aux portes de la beauté. La maion en série imposera l'unité des éléments, fenêtres, portes, procédés de construction, matière."(4)
 
 

Et Richard Neutra avait lui apprécié jusqu'à quel point chaque élément de l'architecture japonaise et de la vie quotidienne qu'elle renferme était ainsi standardisé (voir La Mouvance américaine - Le style de la Baie - R.Neutra), après que F.Ll.Wright ait fait le rapprochement entre la standardisation traditionnellement mise en oeuvre au Japon, et celle préconisée par les modernes. "Assez étrangement, j'ai remarqué que l'ancienne habitation japonaise est un exemple parfait de la standardisation moderne sur laquelle j'ai moi-même travaillé. Les nattes au sol, amovibles pour le nettoyage sont toutes de trois pieds sur six. la taille et la forme de toutes les maisons sont, toutes deux, déterminées d'après ces nattes."(5)

(voir les maisons usoniennes).
 
 

145 - Atelier d'un artisan fabriquant des tatamis, à Kyoto.
 

- Préfabrication - La standardisation des éléments de la construction n'avait été envisageable que parce qu'elle pouvait être suivie par leur préfabrication.

Les travaux de F.Ll.Wright concernant la standardisation n'étaient pas isolés à certains projets. Déjà bien avant les maisons usoniennes, Wright avait dessiné des projets faisant appel à la préfabrication. D'après Antonin Raymond qui travaillait alors avec lui, ces idées de préfabrication lui seraient provenues directement du Japon.

"Il (Wright, en 1915) travaillait sur un système de préfabrication pour des petites maisons, qui représentait une anticipation des nombreux projets faits par d'autres dans les années qui ont suivies. Bien que le travail accompli sur cette question ait été conséquent, il n'a pourtant jamais abouti à quoi que ce soit de sérieux dès que la réalisation effective du projet était concernée. Wright se représentait les parties composantes de la structure comme isolées du site, certaines prédécoupées, certaines autres préfabriquées. Le module était de trois pieds (voir note 5), une idée qui provenait apparemment des expériences et observations qu'il avait faites au cours d'un de ses voyages antérieurs au Japon (1905)."(6)

146 - Propositions pour des logements préfabriqués, Wright, 1916.

La préfabrication était un sujet d'études qui concernait l'actualité architecturale moderne. Elle représentait une nouvelle façon de construire qui signifiait aussi une nouvelle façon de concevoir, et pour beaucoup aurait dû devenir incontournable; Le Corbusier, W.Gropius préconisaient, dès le début du XXème siècle, la construction de logements à partir d'éléments préfabriqués (projet de Gropius de l'exposition du Werkbund de Stuttgart en 1927).

Mais, c'est après la seconde guerre mondiale, et pour des raisons économiques, que les expériences de préfabrication se sont multipliées. Et l'un des représentants en Europe de ceux qui se sont pleinement investis dans ces expériences est Jean Prouvé.

La préfabrication adaptée à la maison individuelle apporte souvent, aux mêmes besoins, des solutions globalement équivalentes. C'est dans le choix d'un exemple précis, celui des portes coulissantes, ici décrites par Dominique Clayssen, que l'on peut faire un rapprochement entre la solution choisie par Jean Prouvé et celle déjà éprouvée par les Japonais.

"Les portes des placards de rangement (de la maison de M. et Mme J.Prouvé à Nancy) sont des panneaux de bois équipés de montants métalliques. (...) Les montants protègent le bois et permettent de faire coulisser la porte par simple poussée. Une porte comme ça, ça se démonte instantanément. On cherche des complications alors qu'il n'y a que des proportions à respecter: les Japonais réservent toujours un trou à la hauteur exacte où la pression s'exerce horizontalement."(7) La démarche de Jean Prouvé face à la préfabrication est indissociable d'une poursuite du raisonnement jusqu'à l'industrialisation.
 

- Industrialisation -

"La préfabrication et, en conséquence, l'industrialisation du bâtiment - car à quoi sert de normaliser, de standardiser et de préfabriquer, si l'on n'industrialise pas ensuite? - ont été l'un des grands espoirs de l'architecture moderne."(8) Mais, la notion d'industrialisation justement considérée à travers l'architecture moderne ne peut pas trouver une véritable place dans cette étude, dans la mesure où, le contexte dans lequel elle se situe, c'est à dire une époque animée par les progrès techniques, empêche toute relation avec les moyens du Japon ancien.

Toutefois, comme le souligne M.Ragon (8), l'industialisation représente la conséquence logique du procesus de développement de la standardisation et de la préfabrication. Et, pour les architectes qui s'y sont intéressés, l'industrialisation des éléments de construction n'était probante que si elle conservait toutes les possibilités de diversité, déjà illustrées au Japon (voir notes 1 et 2).

Ni la standardisation, ni la préfabrication, ni l'industrialisation ne devait signifier pour eux, la fixation d'un modèle à répéter avec monotonie et indéfiniment, mais au contraire la variabilité modulable à souhait.
 
 

Evolutivité
 

- Flexibilité - Le plan devenu libre, en permettant le cloisonnement de l'espace à volonté autorise aussi un cloisonnement mobile et variable à souhait rendant ainsi l'espace flexible.

La flexibilité de l'espace va de pair avec l'idée de multifonctionnalisme, soit l'idée d'un espace sans fonction définie, d'un espace pouvant assurer plusieurs fonctions différentes.

"L'usage flexible de l'espace, c'est à dire l'espace sans fonction définie est spécifiquement japonais.

(...) Une pièce, dans une maison typique japonaise peut être organisée pour devenir plusieurs espaces.

(..) L'un des principes taoïstes les plus significatifs provient de la perception du fait que la transformation et le changement sont des traits essentiels de la nature. Lao Tzu considérait que le vrai sens de la vie était une expérience alternante et mouvante, que rien n'était permanent et absolu. Et, avec le temps, ce principe d'impermanence s'est enraciné chez les Japonais."(9)

(voir La Place du Japon dans l'Activité architecturale en Occident - La Mouvance américaine - F.Ll.Wright - Ses réalisations)
 
 

Les expériences de flexibilité appliquée au logement se sont répandues en Occident concomitamment à l'industrialisation de masse, sans toutefois se révéler entièrement satisfaisantes. Mais moins la qualité des réalisations elles-mêmes, c'est l'idée même de la flexibilité non éprouvée par les occupants auxquels les logements étaient destinés qui est à remettre en question. Non véritablement inscrite dans les moeurs, elle ne pouvait que maladroitement être interprétée.

Un logement flexible, soit un logement "dont les dispositions intérieures peuvent varier à volonté en fonction des besoins" (10) offre l'avantage manifeste de la souplesse d'utilisation, mais sous-entend aussi un certain nombre de contraintes justement, ou paradoxalement, liées à cette souplesse.
 

L'une des grandes contraintes occasionnée par une pratique optimale de la flexibilité serait, pour l'occupant occidental moyen, le vide, la négation de son mobilier dont le vrai caractère est peu mobile, voire même non mobile. Et si, le premier usager s'approprie effectivement la conception, à l'intérieur d'un cadre, de son propre plan, celui-ci, une fois réalisé, reste pratiquement définitivement figé, car la notion de mobilité induite de la flexibilité reste peu compatible avec le mode de vie occidental.
 

Comme le souligne Georges Maurios, l'espit d'impermanence qui sous-tend la flexibilité de l'architecture japonaise et loin de pouvoir justifier les expériences tentées en Occident.

"Sans véritable fondement théorique, la notion de flexibilité dans le logement est souvent référenciée à la maison traditionnelle japonaise.

(...) L'addition éphémère de deux espaces serait donc la réponse à un simple problème de suroccupation momentanée du logement? L'architecture traditionnelle japonaise est trop subtile et responsable pour que l'on s'empare de l'une de ses apparences afin d'aider à la rentabilité d'un espace pauvrement homogène."(11)
 

Pourtant, le principe de la flexibilité avait intéressé certains grands noms de l'architecture moderne, et on trouve des exemples d'expériences, peut-être plus nobles, sinon au moins antérieures aux réalisations auxquelles Georges Maurios fait référence. "(...) la technologie commence à devenir apparente en 1927 dans l'immeuble d'habitation collectif pour la Weissenhofsiedlung de Stuttgart (de Mies van der Rohe), où une ossature d'acier rend possible une modification des plans de chaque appartement par les résidents (...)."(12) Le plan d'un logement peut être rendu flexible grâce à l'emploi d'éléments architecturaux tels que les cloisons mobiles, coulissantes ou non, aussi bien que par des éléments de mobilier.

Ainsi, la flexibilité de l'architecture traditionnelle japonaise est assurée autant par des cloisons mobiles, fusuma ou shoji, que par les paravents (Byobu).

"Le Japon est le pays du paravent. (...) Ils jouaient un rôle fondamental dans l'architecture d'intérieur comme dans la vie quotidienne. Les bâtiments traditionnels possédaient peu de cloisons permanentes; les grands espaces définis par les murs pouvaient être temporairement divisés par un mobilier de paravents, de rideaux ou de portes amovibles (...).

Les byubu (paravents pliants) étaient des objets pratiques, relativement légers, faciles à replier dans un format qui les rendait transportables, et donc faciles à déplacer ou à remiser lorsqu'ils n'étaient pas nécessaires."(13)
 
 

De même, l'architecture moderne a su emprunter à certains éléments de mobilier leurs capacités à rendre un espace modulable, pour les développer à l'extrême.

Ainsi, par exemple, les interminables dossiers des chaises dessinées par Ch.R.Mackintosh, derrière lesquels se dissimule aisément une personne assise, divisent l'espace comme autant de paravents japonais, avec la même idée de mobilité, et d'impermanence.
 
 

- Extensibilité -

"Une maison usonienne, construite pour un jeune couple, peut, sans altération, être agrandie ultérieurement, selon les besoins d'une famille qui s'accroit. Comme les plans le montrent, les maisons usoniennes ont la forme de têtards - une maison avec une queue plus ou moins longue. Le corps du têtard est représenté par le séjour et la cuisine attenante - ou l'espace de travail - plus tous les services. A partir de là, la queue peut se développer: dans la bonne direction, c'est à dire, une chambre, deux chambres, trois, quatre, cinq, six chambres de long; en prévoyant, entre toutes les deux chambres, une salle de bain. Quelques fois, nous séparons cette queue de l'aile de séjour par une loggia - pour une question de tranquilité, etc.

La taille de la queue du têtard dépend du nombre d'enfants et de la taille du budget familial. Si la queue devient trop longue, elle peut être courbée comme un mille-pattes. Ou bien, elle peut être brisée par un angle. L'aile peut se prolonger à la mesure du nombre d'enfants que l'on veut y installer."(14)
 
 

Décrivant la morphologie d'un plan organique, la métaphore choisie par F.Ll.Wright illustre tout l'aspect évolutif de ses maisons usoniennes. Ici, la notion d'extensibilité étroitement liée au plan organique prend toute sa signification par rapport au Japon, si l'on sait quelles relations F.Ll.Wright établissait entre l'architecture organique et l'architecture japonaise (voir Conceptions de l'espace - Le Plan organique).
 

Les plans organiques des maisons de Wright, autant que ceux des maisons traditionnelles japonaises, sont conçus avec l'idée de pouvoir être agrandis, à tout moment, et sans aucune dénaturation.
 
 

Ces extensions que la forme du plan admet sans contrainte, sont aussi facilement réalisables grâce au mode de construction particulier, celui des blocs de béton (voir La Place du Japon dans l'Activité architecturale en Occident - La Mouvance américaine - F.Ll.Wright - Ses Relations avec le Japon), dont Wright avait éprouvé la technique, pour la première fois à son retour du Japon avec les maisons Millard (Pasadena, Californie, 1922-1923), Storer (Los Angeles, 1923), Freeman (Los Angeles, 1923) et Ennis (Los Angeles, 1923), avant de l'adapter à ses "maisons usoniennes automatiques" Adelman (Phoenix, Arizona, 1951) et Piper (Phoenix, Arizona, 1952).

"Une architecture vraie doit évoluer. En conséquence, la transformation ne signifie pas une ridiculisation, au contraire, avec elle l'imagination doit inventer et construire librement, une habitation profondément flexible et variée, ne manquant jamais de grâce ou de distinction."(15) Notes:
 
 
 

(1)Le CORBUSIER, La Charte de l'habitat.

(2)PERRIAND, Charlotte, Un art de vivre, Musée des Arts décoratifs/Flammarion, Paris, 1985, p.55.

(3)Le CORBUSIER, op.cit..

(4)Le CORBUSIER, Vers une architecture, Vincent, Fréal et Cie, 1958, p.XXV et p.223.

(5)WRIGHT, F.Ll., Principle at work in Japan, in an American Architect, ed.by Edgar Kaufmann, Horizon Press, New-York, 1955, p.46.

(6)RAYMOND, Antonin, An Autobiography, Tuttle, Rutland & Tokyo, 1971, pp.49-50.

(7)CLAYSSEN, Dominique, Jean Prouvé: l'idée constructive, Dunod, Paris, 1983, p.11.

(8)RAGON, Michel, Histoire de l'architecture et de l'urbanisme modernes, ed.Seuil, Paris, 1991, T.2, p.211.

(9)CHANG, Ching-Yu, Japanese Spatial Conception-6, in The Japan Architecct, n°329, sept.1984, p.62.

(10)Petit Larousse illustré, 1988.

(11)MAURIOS, Georges, L'evolutif palliatif, in T.A., n°311, 1976, pp.100-101.

(12)SPAETH, David, Mies: une approche biographique, in Mies van der Rohe, sa carrière, son héritage, ses disciples, C.C.I., Paris, 1987, pp.23-24.

(13)MURASE, Miyeko, L'art du paravent japonais, Anthese, Arcueil, 1990, pp.7-8.

(14)WRIGHT, F.Ll., Expanding for growing family, in The Natural House,Pitman Publishing, London, 1973, pp.167-168.

(15)WRIGHT, F.Ll., The "Usonian Automatic", in The Natural House, op.cit.,p.205.
 

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