Annexe - Anthologie
1 - THUNBERG, Carl Peter,
Sciences et Arts des Japonois: 1 - L'Architecture,
in Voyages, 1795, pp 99 - 108.
2 - BOUSQUET, George,
L'Art japonais, ses origines et ses caractères distinctifs,
in Revue des deux- Mondes, 15 mai 1877, pp 288 - 329.
3 - CUTLER, Thomas William,
Architecture,
in A Grammar of Japanese Ornament and Design, 1880, pp 19 - 21.
4 - GONSE, Louis,
L'Architecture,
in l'Art japonais, I885, pp 117 - 141.
5 - CHAMPIER, Victor,
L'Architecture japonaise,
in Le Japon artistique, n°3 juillet I888, pp 25 - 32, et n°4 août 1888, pp 39 - 46.
6 - MALLET - STEVENS, Robert,
L'Architecture au Japon,
in La Revue, vol. LXXXX, 15 mai 1911, pp 522 - 530.
Sciences et Arts des Japonois: -1 L'Architecture.
La description des différens édifices que j'ai visités pendant mon séjour au Japon, ne doit pas avoir donné au lecteur une grande idée de l'architecture des Japonois: cet art est resté chez eux dans l'enfance. Leurs édifices ne peuvent pas entrer en parallèle avec ceux d'Europe, soit pour l'extérieur, soit pour les commodités, ni pour la solidité de la construction.
Leurs maisons, généralement construites en bois, revêtues de placage et blanchies en dehors, ont l'air d'être bâties en pierres. Toutes les poutres sont posées horizontalement ou perpendiculairement; on n'en voit pas de transversales ni d'obliques, comme dans nos constructions de charpente. On entrelace parmi ces poutres minces et carrées, des cannes de bambou que l'on recouvre d'une épaisse couche de mortier en terre glaise, sable et chaux; ce qui forme des palissades minces et blanches. Ils ne pratiquent ni entrefend, ni cloisons dans l'intérieur de la maison. Ce n'est proprement qu'une cage, que l'on distribue en plusieurs chambres avec des cloisons de papier; des rainures sont faites dans les poutres des planchers inférieurs et supérieurs, pour recevoir ces cloisons, qui se mettent et s'ôtent à volonté et très aisément, car ce sont de simples châssis en lattes vernies, sur lesquelles on colle de gros papier peint. Le plancher supérieur est, en général, assez uni, et formé de planches bien assemblées par le moyen des rainures et des mortaises; mais, en récompense, les planches sur lesquelles on marche, et qui sont à quelques pouces de terre, sont bien mal jointes. Les maisons sont couvertes de tuiles épaisses et pesantes, celles des pauvres, de morceaux de bois semblables à des tuiles, et chargées de pierres pour les maintenir et donner une certaine consistance à l'édifice. J'ai vu, dans plusieurs villages, et même dans de petites villes, les murs des maisons recouverts de morceaux d'écorces attachés à de petites lattes, pour empêcher l'eau de dissoudre le mortier.
Les maisons n'ont jamais plus de deux étages, et environ dix aunes de haut; le second est rarement habité, il sert de grenier ou de magasin. Les hôtels des gens riches et des seigneurs sont plus vastes et plus beaux, mais pas plus élevés que les maisons des particuliers. Chaque chambre a une ou plusieurs fenêtres, percées environ à une aune de terre, et qui s'élèvent jusqu'au plafond. Ce sont de légers châssis qu'on peut mettre, ôter et rapprocher, en les faisant glisser sur les deux coulisses pratiquées dans les poutres inférieures et supérieures. Chaque châssis est divisé en quarante carreaux plus ou moins, sur lesquels on colle du papier blanc très-fin, mais presque jamais huilé. L'intérieur des chambres est suffisamment éclairé, cependant on n'y peut jouir de la vue extérieure. Au reste, les Japonois ne connoissent ni les vitres ni le tale. Le toit excède toujours de beaucoup le corps de logis; on y ajoute encore souvent un supplément pour couvrir une galerie étroite construite devant les fenêtres. Plusieurs baguettes carrées plantées en terre, et clouées par le haut à ce petit toit , servent à soutenir des nattes de joncs, que l'on baisse et que l'on roule; ces espèces de jalousies empêchent les passans d'observer ce qui se fait dans l'intérieur de la maison, et préservent de la pluie les carreaux de papier.
Les planchers sont toujours couverts de nattes épaisses de trois ou quatre pouces, longues d'une brasse, et larges d'une demie, et bordées d'un ruban bleu ou noir. Elles ont les mêmes dimensions dans toute l'étendue du royaume; on la (sic) tresse avec une herbe fine entremêlée de paille de riz. Ce n'est que dans le palais impérial d'Iédo que j'ai vu des nattes plus grandes que celles dont je parle. Chez les gens peu aisés, une partie des appartemens n'a pas de nattes, particulièrement l'antichambre où l'on ôte ses souliers; la salle de compagnie, couverte de nattes, a un plancher plus élevé; des cloisons à coulisses en forment l'enceinte. Les murs et les plafonds des appartemens sont tendus en papier fort avec des fleurs peintes sur un fond vert, jaune ou blanc, quelquefois sablé d'or ou d'argent. Comme la fumée ne tarde pas à noircir cette tenture, on la renouvelle tous les trois ou cinq ans: on colle ce papier avec de la bouillie de riz très claire.
Les marchands et les ouvriers ont ordinairement leur magasin, ou leur atelier, ou leur cuisine sur le devant, et habitent le derrière de la maison.
Le foyer de la cuisine consiste en un trou carré, au milieu de l'appartement: ce trou est revêtu de pierres et environné de nattes. La fumée du charbon noircit tout, parce qu'il n'a pour issue qu'une ouverture pratiquée dans le toit en guise de cheminée, et les nattes dressées autour du foyer causent des incendies très-fréquens.
Chaque maison a ses privés formés par une ouverture oblongue dans le plancher; ils ressemblent à une caisse posée de travers, et sur le bord de laquelle on s'assied de côté. On trouve toujours auprès des latrines un vase de porcelaine plein d'eau, pour se laver les mains.
Chaque maison a sa petite cour avec une petite montagne ou éminence couverte d'arbres, d'arbustes et de pots de fleurs. Les plantes les plus communes sont le pin sauvage, l'azalée de l'Inde, l'aukuba et le nandin.
Dans les grandes villes, comme Iédo, Miaco, &c. toutes les maisons ont un magasin bâti en pierres, où l'on sauve les objets les plus précieux en cas d'incendie.
Il n'y a presque pas de maison qui n'ait sa salle de bains avec les baignoires et ustensiles nécessaires; cette salle se trouve presque toujours à une des extrémités du logis. Au reste, il ne faut pas chercher dans les appartemens des Japonois les commodités et tous les agrémens que nous avons su nous procurer dans les nôtres en Europe; ils ne sont pas non plus, à beaucoup près, aussi chauds ni aussi gais. Les châssis de papier à demi-transparent, ne contribuent certainement pas à les embellir.
Les édifices publics sont vastes et toujours fermés avec des portes, quelquefois environnés de remparts et de fossés, et munis de tours, sur-tout quand un Grand y fait sa résidence ou y tient sa cour.
Quoiqu'il fasse très-froid au Japon, et qu'on soit obligé de s'y chauffer depuis le mois d'octobre jusqu'au mois de mars, l'usage des cheminées y est absolument inconnu; l'on y supplée par le moyen de chaudrons de cuivre à larges bords, dont le fond est rempli de cendres ou mortier sur lesquels on met des charbons allumés. On place ce chaudron au milieu ou dans un coin de la chambre que l'on veut chauffer; il faut renouveler le feu plusieurs fois, parce que les appartemens ne sont pas bien clos. Chacun prend place autour du brasier, qui a souvent une odeur très-désagréable; en outre, la fumée fait mal aux yeux et noircit les tentures de papier.
L'intérieur des maisons japonaises et absolument nud. On n'y voit pas ces bureaux, ces sofas, ces fauteuils et tous ces meubles aussi riches qu'élégans qui embellissent nos appartemens.
Les nattes qui recouvrent leur plancher leur servent à la fois de chaises et de lit. Aux repas, on place devant chaque convive une petite table haute de quatre pouces et d'une demi-aune en carré; pour se coucher, on étend un matelas de coton sur le plancher. Les armoires, les coffres, &c. sont enfermés dans une chambre particulière ou dans un magasin. Presque tous les Indiens s'asséyent les jambes croisées devant eux; mais les Chinois et les Japonois s'asséyent positivement sur leurs talons.
L'éventail forme le principal article de leur mobilier portatif; chacun a le sien passé dans sa ceinture, à gauche, derrière le sabre, et renversé le manche en haut.
Quoique les miroirs fassent une partie essentielle des instruments de la toilette, on ne les attache pas aux murailles pour orner les appartemens; on les pose au milieu de la chambre sur un chevalet un peu penché, de manière que le beau sexe peut contempler ses propres charmes et leur donner tout l'éclat dont ils sont susceptibles. Ces miroirs ne sont pas de glace, mais d'un métal composé de cuivre et de zinc fondus ensemble et bien polis.
Leur mobilier se borne, comme on voit aux objets de première nécessité, et les marchands en tiennent de tout prêts et en si grande quantité, qu'on ne sait comment il se trouve suffisamment d'acheteurs. Aussi n'a-t-on pas besoin de rien commander directement aux ouvriers.
Nos paravents sont probablement une invention de la Chine ou du Japon, où j'en ai vu beaucoup. Ils ont, en général, quatre aunes suédoises de hauteur, se plient et forment plusieurs feuilles, de manière à environner les lits quand plusieurs personnes couchent dans la même chambre, ou à cacher les objets que l'on ne veut pas exposer à la vue de tout le monde. On les place devant les fenêtres ou les portes, pour intercepter les vents coulis; on les place autour de l'âtre du feu pour concentrer la chaleur; enfin, ils servent à distribuer une chambre en plusieurs petits appartemens. Il y a des paravents de différentes grandeurs, selon le nombre de feuilles dont ils sont composés. Chaque feuille peut avoir une aune suédoise de large. C'est un châssis de bois recouvert de gros papier, assez joliment peint.
Carl Peter Thunberg.